Le middle management est-il en voie de disparition ? Quels impacts pour les cadres dirigeants
Contrat de travail

Depuis plusieurs années, un vent de transformation souffle sur les organisations. Hiérarchies allégées, méthodes agiles, autonomie accrue des équipes : les structures pyramidales cèdent peu à peu la place à des modèles plus horizontaux.
Et au cœur de cette mutation, une question dérangeante revient sans cesse : le middle management a-t-il encore sa place dans l’entreprise d’aujourd’hui ?
Ce niveau hiérarchique intermédiaire, longtemps considéré comme indispensable, semble aujourd’hui fragilisé. Dans certains groupes, les postes se raréfient ; ailleurs, ils changent de nature.
Pour les cadres supérieurs comme pour les dirigeants, cette évolution n’est pas anodine : elle interroge le sens même du rôle managérial, les responsabilités, mais aussi la sécurité de l’emploi.
En tant qu’avocate en droit du travail, j’observe au quotidien les effets concrets de ces transformations : restructurations, suppressions de postes, réorganisations internes…
Cet article propose un décryptage à la fois sociologique et juridique de ce phénomène, pour mieux comprendre ce qui se joue derrière la “disparition annoncée” du middle management — et comment les cadres peuvent s’y préparer.
Un rôle historique en pleine remise en question
Le middle management désigne l’ensemble des cadres intermédiaires qui assurent le lien entre la direction et les équipes opérationnelles.
Véritable courroie de transmission, le manager intermédiaire traduit les décisions stratégiques en actions concrètes, tout en veillant à la cohésion des équipes et à la qualité du travail réalisé.
Historiquement, ce rôle a été essentiel au bon sens fonctionnement des grandes organisations : il garantissait la fluidité de l’information, l’exécution des projets et la stabilité sociale interne.
Mais le contexte a profondément changé. Sous l’effet de la digitalisation, de la recherche d’agilité et de la montée en puissance des équipes projet, ce modèle hiérarchique est remis en cause.
Aujourd’hui, de nombreuses entreprises cherchent à simplifier leur structure pour gagner en rapidité et en autonomie. Le manager intermédiaire, longtemps perçu comme un pilier, devient parfois synonyme de lourdeur organisationnelle.
Pourtant, son rôle reste clé : il absorbe les tensions, arbitre les contradictions et protège ses équipes face à la pression de la direction.
👉 Le middle manager est par nature un “tampon” : il encaisse les injonctions de ses N+1 tout en préservant ses collaborateurs. Une position d’équilibriste, parfois intenable, qui explique pourquoi son avenir suscite tant de débats.
Les signaux faibles : vers une remise en cause du modèle
Les mutations à l’œuvre ne se traduisent pas toujours par une annonce officielle de “suppression du middle management”.
Elles s’observent souvent de manière plus subtile, à travers des signaux faibles : évolution des missions, redéfinition des périmètres, nouvelles méthodes de travail qui contournent peu à peu le rôle traditionnel du manager intermédiaire.
Le télétravail, la gestion de projets transverses, les équipes agiles ou encore les outils collaboratifs ont profondément modifié la circulation de l’information. Là où le manager jouait autrefois un rôle d’interface, la technologie et l’autonomie des équipes ont pris le relais.
Résultat : les managers intermédiaires sont parfois perçus comme un “maillon de trop”, alors même qu’ils demeurent indispensables pour garantir la cohérence humaine et stratégique des projets.
Certaines entreprises assument ouvertement cette orientation.
Les start-ups et scale-ups misent sur des modèles plus plats, avec peu de niveaux hiérarchiques et une forte responsabilisation individuelle.
Des grands groupes engagés dans des programmes de transformation adoptent la même logique, espérant gagner en réactivité et en efficacité décisionnelle.
Mais ces changements ne sont pas sans coût.
À côté des gains organisationnels, le coût humain est réel : perte de repères, sentiment d’inutilité, fatigue décisionnelle…
👉 Confrontés à des injonctions contradictoires – être à la fois stratèges, soutiens et exécutants – certains middle managers se désengagent ou quittent leur poste, faute de trouver un sens à leur mission.
Ces fragilités individuelles annoncent souvent des tensions collectives plus profondes : lorsque la fonction de relais s’efface, l’entreprise risque de perdre un maillon essentiel de son équilibre social.
Suppression du middle management : quelles conséquences pour les entreprises ?
Derrière la volonté de “faire plus simple”, la suppression du middle management traduit souvent une quête de rapidité décisionnelle et de réduction des coûts.
Moins d’échelons hiérarchiques, c’est la promesse d’une communication directe, d’équipes plus réactives, et d’un pilotage allégé.
Sur le papier, l’entreprise gagne en fluidité.
Mais dans les faits, cette disparition crée un vide qui n’est pas toujours anticipé.
Car le middle manager n’était pas seulement un intermédiaire administratif : il incarnait un relais humain, garantissait la continuité des décisions et la cohésion des équipes.
Sans ce maillon, la charge se déplace — souvent vers les dirigeants, qui se retrouvent à gérer directement des équipes plus larges, avec un niveau de suivi et de reporting considérablement accru.
À court terme, cela peut sembler efficace.
Mais à moyen terme, les entreprises constatent souvent un effet boomerang :
– une surcharge des dirigeants, contraints de gérer des sujets opérationnels qu’ils avaient délégués ;
– une perte de lien social et de proximité dans les équipes ;
– une montée du désengagement et de la fatigue organisationnelle.
La suppression du middle management touche donc à l’équilibre psychologique et social de l’entreprise.
Sans relais humain, la communication verticale s’appauvrit, les tensions se cristallisent, et les signaux faibles de mal-être remontent plus difficilement.
👉 La disparition du rôle de relais accentue ainsi les tensions internes et accroît le risque de désengagement — un paradoxe pour des organisations qui cherchent justement à renforcer la motivation et la performance collective.
À terme, les directions les plus lucides finissent par réintroduire, sous d’autres formes, des fonctions d’accompagnement ou de coordination. Preuve que le middle management, même transformé, demeure un pilier du fonctionnement collectif.
« Le middle management ne disparaît pas, il se transforme. Dans un monde du travail en mutation, les managers qui savent écouter, relier et donner du sens resteront essentiels à la performance collective. »
Quels impacts pour les cadres dirigeants ?
Lorsque le middle management s’amenuise, les cadres dirigeants deviennent les premiers concernés.
La disparition d’un échelon intermédiaire se traduit rarement par un allègement des responsabilités — bien au contraire.
Les dirigeants voient leur périmètre s’élargir, leurs équipes s’accroître et leur charge managériale augmenter considérablement.
Dans ces organisations plus “plates”, ils doivent désormais assurer un suivi opérationnel plus direct : encadrer, évaluer, motiver, arbitrer… autant de missions qu’ils déléguaient auparavant à leurs managers de proximité.
Cette pression supplémentaire peut fragiliser l’équilibre entre vision stratégique et gestion quotidienne — deux temporalités difficilement compatibles.
À cela s’ajoute une pression accrue sur la performance et le reporting.
Les directions générales attendent des résultats rapides, une traçabilité parfaite des décisions, une agilité constante.
Sans relais managérial, les cadres dirigeants deviennent parfois le seul point de convergence des tensions internes : objectifs irréalistes, attentes RH, gestion des crises… Ils se retrouvent à la fois chefs d’orchestre et pare-feu.
Mais l’enjeu n’est pas seulement organisationnel : il est aussi juridique.
Derrière ces évolutions se jouent souvent des réorganisations plus profondes (fusions, simplification hiérarchique, transferts d’activité) qui peuvent conduire à la remise en question de certains postes intermédiaires : coordinateurs, directeurs adjoints, responsables sans équipe directe, fonctions transverses…
Ces fonctions, parfois mal identifiées dans les nouveaux organigrammes, se retrouvent alors fragilisées : périmètre qui se réduit, responsabilités qui se diluent, visibilité qui s’amenuise.
Dans certains cas, cette évolution peut mener à une mise à l’écart progressive, voire à un départ “organisé” lorsque la place n’est plus considérée comme stratégique.
C’est pourquoi il est essentiel d’anticiper et d’encadrer ces transitions, pour préserver à la fois vos droits et votre trajectoire professionnelle.
👉 Dans ces contextes, la vigilance contractuelle devient essentielle.
Un changement de périmètre, de rattachement ou d’intitulé peut avoir des conséquences directes sur votre statut, votre rémunération variable ou vos perspectives d’évolution.
Il est donc important de relire votre contrat, d’identifier les clauses sensibles et, si nécessaire, de faire préciser certains points par écrit.
Le rôle évolutif du manager intermédiaire : disparition ou mutation ?
Plutôt qu’une disparition pure et simple, c’est une métamorphose du rôle de manager intermédiaire qui s’opère.
Les entreprises les plus lucides ne cherchent pas à supprimer le middle management, mais à le réinventer.
Car derrière les process et les outils, l’humain reste le seul véritable levier de cohésion et d’intelligence collective.
Le manager de demain ne sera plus seulement un “transmetteur” de décisions : il deviendra un facilitateur, un coach interne, un catalyseur de coopération.
Son rôle consistera moins à contrôler qu’à accompagner, écouter et donner du sens dans un environnement où l’autonomie est valorisée, mais parfois déroutante.
Cette évolution redonne au management sa dimension la plus noble : créer du lien, faire grandir, préserver l’équilibre humain.
Là où certains voient une fragilisation, d’autres y discernent une opportunité de repositionnement.
Les cadres intermédiaires dotés de compétences transverses — communication, conduite du changement, intelligence émotionnelle — deviennent des atouts stratégiques pour accompagner les transformations en cours.
Les fonctions de management de transition, de formation interne ou de pilotage transversal se multiplient, preuve que la valeur du manager ne disparaît pas : elle change simplement de forme.
👉 Le middle manager “nouvelle génération” n’est plus un rouage administratif, mais un acteur de la transformation.
Celui qui comprend les dynamiques humaines et organisationnelles, capable de maintenir la cohésion dans des structures de plus en plus éclatées.
Comment se préparer en tant que cadre supérieur ou dirigeant ?
Dans un contexte de transformation continue, la meilleure protection reste l’anticipation.
Qu’il s’agisse d’un projet de réorganisation, d’une fusion ou d’une évolution de poste, les cadres supérieurs et dirigeants ont tout intérêt à préparer le changement avant qu’il ne s’impose.
La première étape consiste à analyser la trajectoire de son poste :
– Votre rôle est-il toujours essentiel à la chaîne de décision ?
– Les missions confiées évoluent-elles vers plus de coordination ou au contraire vers un recentrage ?
– L’entreprise communique-t-elle sur un projet de simplification hiérarchique ou de transformation managériale ?
Ces signaux doivent être lus avec lucidité.
Anticiper, c’est aussi faire valoir ses compétences transverses : pilotage de projets, accompagnement humain, connaissance fine du terrain… Autant d’atouts qui peuvent faciliter une mobilité interne, une reconversion ou une transition vers un rôle de conseil ou de management de transition.
Mais au-delà des enjeux de carrière, cette période demande une vigilance juridique.
Un changement d’intitulé, de rattachement hiérarchique ou de périmètre peut avoir des conséquences sur votre contrat, votre rémunération variable, ou vos conditions de rupture.
👉 Se faire accompagner par un conseil juridique permet de préserver ses droits, de sécuriser sa place dans l’organisation et, le cas échéant, de préparer une négociation de départ dans les meilleures conditions.
Dans certaines situations, lorsque le repositionnement n’est plus possible, une négociation de départ peut offrir une issue équilibrée, à condition d’être bien négociée et sécurisée sur le plan juridique.
Le monde du travail évolue vite, mais le rôle du manager — qu’il soit intermédiaire ou dirigeant — conserve une valeur fondamentale : celle du lien humain.
Et c’est souvent en traversant ces zones de mutation que les cadres redéfinissent le mieux leur propre leadership.
💡 Mon conseil
Si vous avez le sentiment d’être pris en étau entre la direction et vos équipes, ne restez pas seul. Parler de votre situation — à un coach, un pair, un conseil juridique — permet souvent de reprendre de la hauteur avant que la pression ne devienne intenable.
Un poste qui évolue, une hiérarchie qui se transforme… Ces périodes de mutation sont souvent déstabilisantes, mais elles peuvent aussi ouvrir de nouvelles perspectives.
✍🏻 Maître Julia Fabiani
Avocate en Droit du Travail — J’accompagne les cadres supérieurs & dirigeants dans les négociations de départ, conflits et transitions professionnelles.
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